Des groupes féministes coréens révèlent l’existence de salons de discussions Telegram sur lesquels plusieurs centaines de milliers d’hommes échangent des photos privées de femmes de leur entourage. Quelques années après le scandale des nth rooms, cette affaire secoue un pays qui peine à lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles.
Trigger warning (TW) : l’article suivant évoque des salons de discussions digitaux Telegram contenant abus, violences et crimes sexuels, (pédo)pornographie et inceste.
Depuis plusieurs jours, l’affaire prend de l’ampleur sur le réseau social X / Twitter : plus de 400 000 hommes coréens s’échangeraient sur des salons de discussion Telegram des photos intimes voire pornographiques de femmes de leur entourage : petites amies, ex, amies, camarades de classe, collègues… Mais aussi cousines, mères ou sœurs.
C’est l’utilisatrice X / Twitter @.Queenarchive1 qui révèle le premier ces agissements. Sur ce compte, depuis supprimé par la plateforme des suites de son signalement en masse par des hommes sud-coréens, on trouve des photos (anonymisées pour protéger l’identité des victimes) partagées sur ces salons Telegram.
Clichés de sous-vêtements pris à l’insu des victimes, de femmes en train de dormir, voire vidéos d’agressions sexuelles, on trouve de nombreuses preuves de violence sur ces salons, hébergés par une application qui a l’avantage de permettre d’envoyer des messages cryptés et anonymes dans des groupes pouvant accueillir plusieurs milliers de personnes.
Il semblerait même que la règle, pour rentrer dans ces salons virtuels, soit d’envoyer des photos intimes de femmes de son entourage.
Le fléau des deep fakes
On y retrouve aussi des deep fakes : des vidéos pornographiques créées grâce à l’intelligence artificielle à partir d’une simple photo. Ces vidéos, montées de toutes pièces à partir de selfies récupérés par exemple sur Instagram, concernent des femmes de tous âges, y compris des mineures.
Selon l’agence de statistiques Security Hero, près de 53% de femmes sud-coréennes seraient les cibles de deep fakes à caractère sexuel. Ce chiffre exorbitant place ainsi la Corée du Sud en première position de création de pornographie basée sur l’intelligence artificielle.
Parmi ces victimes de deep fakes, 99% sont des femmes, et 94% sont des femmes qui travaillent dans l’industrie de l’entertainment : actrices, idols et influenceuses. Mais malgré ce chiffre, ce nouveau scandale de salons Telegram révèle que ce phénomène touche également des femmes anonymes, agressées par leurs proches et parfois même des membres de leurs familles.
Dans les esprits, le spectre des nth rooms
Ces révélations interviennent seulement quelques années après le scandale des nth rooms (“n-ième salle” en français), arrivé en Corée du Sud entre décembre 2018 et mars 2020. Ce nom fait référence à une autre affaire d’abus et d’exploitation sexuelle impliquant des salons Telegram.
Dans ceux-ci, 260 000 utilisateurs consommaient des contenus provenant de femmes à qui était fait du chantage afin qu’elles filment des photos et des vidéos d’elles sexuellement explicites, dont des viols, des humiliations, des scarifications et de nombreuses autres formes de violences. L’accès à ces salons était payant : 200 000 won pour y entrer (soit 150 euros environ) et jusqu’à 1,5 million de won (1 100 euros environ) pour avoir accès à l’intégralité des contenus.
En mars 2020, plus de 100 personnes dont le principal suspect, Cho Joo-bin (accusé d’avoir orchestré le chantage de dizaines de femmes pour vendre ensuite leurs vidéos), sont arrêtées. Cho Joo-bin est condamné à 40 ans de prison. En revanche, les hommes identifiés comme ayant acheté et consommé les contenus de ces salons Telegram ne reçoivent que des peines avec sursis ou des amendes.
L’impact de l’indignation internationale
A la suite de ces révélations, ce sont des dizaines de victimes qui témoignent anonymement sur X / Twitter, partageant leurs expériences traumatiques intimement liées à la misogynie encore omniprésente en Corée du Sud.
Les médias coréens tardent pourtant à se saisir de cette affaire, et les féministes du pays en appellent donc sur X / Twitter au soutien des internautes. L’affaire, alors amplifiée en ligne par des féministes du monde entier, prend de l’ampleur et est relayée par des médias internationaux comme BBC News.
Le mardi 27 août, c’est finalement le président sud-coréen Yoon Suk-Yeol qui réagit à cette affaire désormais impossible à ignorer, en déclarant : « J’exhorte les autorités à mener des enquêtes approfondies et à prendre des mesures pour éradiquer ces crimes sexuels numériques ».
Reste à savoir désormais si cette mobilisation internationale permettra que justice soit rendue pour les victimes de ce nouveau scandale, dans un pays qui peine à lutter véritablement contre les violences sexistes et sexuelles et dans lequel le féminisme est encore largement décrié.