JUKEBOX : RM se dévoile à fleur de peau dans Right Place, Wrong Person

Actuellement en plein service militaire, le leader de BTS sort malgré cela son 2ème album studio, pour le plus grand plaisir de ses fans. Nous revenons sur Right Place, Wrong Person, un album qui nous emmène dans un voyage initiatique entre le bien et le mal. 

Après ses mixtapes RM et Mono, sorties en 2015 et 2018, puis son premier album studio Indigo, que l’on découvrait en 2022, le musicien de 29 ans est revenu ce vendredi 24 mai avec Right Place, Wrong Person. Il continue dans ce 2ème album de 11 chansons à évoquer ses expériences de vie et la quête qui traverse toute sa discographie : celle de lui-même. 

Le thème principal de cet album ? L’errance entre le bien et le mal, le bon et le mauvais, le vrai et le faux. Exprimée dès le titre composé des mots “right” et “wrong”, cette idée revient tout au long de l’album, dans lequel RM s’interroge sur ces notions, ainsi que sur le fait de réussir à être la personne que l’on est ou veut être, entourée des bonnes personnes, au bon endroit.

Cette errance, c’est bien entendu la sienne, et l’artiste ne s’en cache pas : dans une vidéo promotionnelle tournée avec Jimin, autre membre de BTS, ce dernier demande à RM ce que le titre “Right Place, Wrong Person” signifie. Le rappeur répond “Quelqu’un comme moi”, avant d’expliquer qu’il a régulièrement l’impression d’être “la mauvaise personne”, ne se sentant pas à sa place alors que tout le monde autour de lui semble aller bien. En explorant avec vulnérabilité et profondeur ce sentiment universel, RM reste fidèle à ce qui a toujours été au centre de son art, en solo comme au sein de BTS : utiliser ses expériences personnelles pour créer du lien. 

Right Place, Wrong Person nous emmène donc dans un voyage initiatique au cœur de la célébrité délirante de BTS, mais aussi des questionnements plus “normaux” d’un jeune homme qui se cherche à l’orée de ses 30 ans. C’est finalement un Kim Namjoon plus vulnérable que jamais que l’on découvre dans cet album.

Une première partie aux airs de descente aux enfers

L’album s’ouvre sur “Right People, Wrong Place”, un morceau aux sonorités électro qui nous donnerait presque l’impression d’être dans un film futuriste. Pas d’aventure cependant dans cette chanson dont le titre fait directement référence à celui de l’album : tout relève plutôt de la confusion, peut-être celle que l’on éprouverait sur une planète inconnue. Les mots “right” et “wrong” mais aussi “place” et “people” sont répétés à l’infini dans toutes les variations possibles (“les mauvaises personnes au mauvais endroit, les bonnes personnes au bon endroit, les bonnes personnes au mauvais endroit”, etc). La piste instrumentale, obsédante, amplifie ce sentiment de chaos et d’égarement, et nous plonge directement dans l’atmosphère sombre de cet album. 

On découvre ensuite “Nuts”, une chanson de hip-hop alternatif à l’instrumentale surprenante, avec une basse distordue et la présence de guitares électriques sur le bridge. Sur ce morceau à propos d’une relation amoureuse qui s’est vraisemblablement mal terminée, on retrouve un RM plein de cynisme. Le son récurrent en fond provoque, comme dans le premier morceau, une sensation obsédante, à l’image de pensées qui tournent en boucle. C’est l’idée de cette chanson, dont le titre renvoie certainement à l’expression “going nuts”, utilisée par RM dans les paroles et qui signifie “devenir fou”. On le voit ainsi alterner entre un refrain et un bridge dans lesquels il semble vouloir récupérer son amour perdu, et des couplets où il s’exprime sur les difficultés et les souffrances liées à cette relation. Dans le dernier couplet, la chanson s’assombrit encore, et on devine non seulement l’incapacité de RM à faire la paix avec cette relation passée, mais aussi la colère qui s’ensuit. 

L’album enchaîne directement avec “out of love”, dont l’instrumentale se confond avec la fin de “Nuts”, à tel point qu’on a, à la première écoute, du mal à voir où finit la première chanson et où commence la seconde. Cela s’explique par le fait que ce morceau est dans le prolongement direct du début de l’album : on y retrouve le cynisme, la colère et les intonations froides d’un RM complètement désabusé, qui ne croit plus en rien et certainement pas en l’amour. Toujours dans un style hip-hop alternatif, cette chanson poursuit la descente aux enfers de son interprète, qui évoque l’envie de “tout brûler”, y compris “le monde dans lequel il a vécu toute sa vie”. Un morceau sombre, donc, qui clôture l’enchaînement des trois premiers morceaux où RM expose toute sa souffrance, sa confusion et sa rage.

Une seconde partie d’album plus dansante

Right Place, Wrong Person se poursuit avec “Domodachi”, une collaboration avec la rappeuse britannique Little Simz, notamment connue pour sa chanson “Venom”. Sa présence sur ce morceau de hip-hop, au titre dérivé du japonais “tomodachi” qui signifie “ami”, est d’autant plus intéressante que la rappeuse est née comme RM en 1994, leur permettant au regard des traditions coréennes sur l’âge de se considérer comme des amis, quand quelqu’un de plus jeune ou de plus âgé ne pourrait utiliser ce qualificatif (le mot coréen 친구, chingu, qui signifie ami, ne peut en effet s’utiliser qu’entre personnes nées la même année). Ce titre est plus énergique que les précédents, avec des percussions qui donnent envie de bouger et de danser. Un choix pertinent pour une chanson qui invite justement à danser entre amis, peut-être pour oublier les difficultés évoqués lors des morceaux précédents. Sans en faire un titre joyeux à proprement parler, la présence de Little Simz apporte à ce titre une énergie et une fraîcheur qui tranche avec l’atmosphère sombre du début de l’album. 

Le morceau “? (Interlude)” est un basculement vers la seconde moitié de cet opus, dans laquelle RM se décharge d’un peu de la colère des premières chansons. Ici, le chanteur délaisse le hip-hop pour un morceau de jazz funk produit notamment par DOMi & JD Beck, un duo franco-américain de musiciens décrit par France Inter comme “le nouveau phénomène du jazz mondial”. Ici, il semble que RM évoque à nouveau son histoire d’amour passée, naviguant une fois de plus entre l’envie d’oublier et de souvenir. L’évocation de ce dilemme s’intègre au thème général de l’album, cette confusion des émotions et cette difficulté à savoir ce qui est bon pour lui. Le morceau met d’ailleurs en avant cette confusion avec un tempo original et une signature rythmique changeante, et des dissonances dans les accords choisis.

Après cet interlude, on enchaîne sur Groin, un morceau bien plus dynamique qui sort de la noirceur des accords mineurs des autres chansons. Ici, RM s’autorise à exprimer ce qu’il a longtemps tu, notamment ses difficultés liées au poids que représente le rôle de leader de BTS. Il évoque la pression de devoir être irréprochable, de représenter quelque chose de plus grand que lui, ce que l’on ne peut que comprendre quand on connaît le succès de son groupe, scruté par les médias et dont les membres ont été amenés à représenter leur pays à plusieurs grandes occasions. Dans “Groin”, on retrouve avec joie un RM à la plume acérée, que l’on avait déjà pu croiser dans les “Cypher” de BTS ou sur d’autres morceaux. Sur un titre de hip-hop aux sonorités plus old school, le rappeur fait preuve d’une grande franchise, jouissive à (re)découvrir après les derniers titres plus consensuels de BTS comme “Dynamite” ou “Permission to Dance”. Au-delà de ce franc-parler, RM réaffirme dans ce morceau la quête qui est la sienne et le choix qui le guide depuis toujours : être lui-même. 

Dans le morceau indie rock “Heaven”, c’est une forme d’apaisement mélancolique que nous offre l’artiste. Sur le thème d’une relation toxique avec une personne lui volant son “paradis” (que l’on peut interpréter comme la paix intérieure ou le bonheur), cette chanson plus mélodieuse, avec des paroles chantées et non rappées, dépeint un interprète qui accepte ce “vol” de son “paradis”, autrement dit la douleur causée par cette relation. Dans un bridge aux douces notes de guitare, RM semble se libérer de la colère et de la confusion engendrée par cette relation, acceptant pour le meilleur ou pour le pire ce qui lui est arrivé. 

On parvient ensuite à “LOST!”, la title track de cet album. Dans ce morceau de pop alternative, on retrouve l’incertitude et le sentiment d’égarement déjà évoqués par RM. En revanche, pas de mélancolie ici, mais une mélodie et des chœurs dynamiques, comme si cette impression d’être perdu pouvait être une opportunité et une façon d’être plus libre, thème par ailleurs directement évoqué dans des paroles presque opposées (“Je suis putain de perdu”, puis, deux vers plus tard, “Je ne me suis jamais senti aussi libre”). La rapidité du tempo accentue l’impression de courir dans tous les sens, cherchant qui l’on est, alternant entre mille possibilités, mille scénarios différents. Dans la même veine, RM joue dans un clip évocateur plusieurs rôles à la fois, illustrant sa difficulté à savoir qui il est vraiment. 

Fin de l’album : l’acceptation comme clé de la guérison

Dans “Around the world in a day”, un titre en collaboration avec le chanteur américain Moses Sumney, RM revient à la dichotomie “right/wrong” centrale de cet album. Dans un style soul et R&B alternatif, ce morceau est l’un de nos coups de cœur et représente un tournant dans l’album, étant l’un des seuls titres où l’on retrouve véritablement de l’espoir. Cette chanson, grâce à la beauté de la voix de Moses Sumney, la douceur des notes de guitare et des choeurs superbes, nous invite à quitter le désespoir du début de l’album et à accepter la confusion en prenant conscience d’une chose : seul le temps pourra dire ce qui est bon ou mauvais. Dans la seconde partie du morceau, plus rock, RM reprend dans un couplet de rap plus rythmé le contrôle de sa vie, à l’inverse de la passivité et de l’impuissance du début de l’album. Il fait à nouveau le choix d’être lui-même, peu importe les conséquences, en affirmant “Je vais continuer à rouler jusqu’à ce que l’amour et la haine n’aient plus d’importance”, ou encore “Je m’aime brisé”. Des thèmes centraux dans toute sa discographie, mais qu’il réaffirme constamment, comme pour mieux s’en convaincre et se rappeler de ces principes cardinaux. 

Alors que l’album touche à sa fin, RM nous propose “ㅠㅠ (Credit Roll)”, une courte outro d’à peine plus d’une minute qui semble clôturer cet opus. Dans ce titre au nom évocateur (“générique de fin”, accompagné d’un emoji qui pleure), l’artiste remercie ses auditeurs mais pose aussi la question du “Et maintenant ?”. En demandant à ceux qui l’écoute s’ils restent sur place quand le générique de fin défile ou s’ils retournent à leur vie, RM pose sans doute la question du soutien de ses fans, alors qu’il s’apprête à l’époque où il termine cet album à entamer son service militaire. Avant-dernier d’un album qui s’écoute comme une histoire emplie de montagnes russes et d’émotions à fleur de peau, ce morceau annonce plus largement une fin en demi-teinte, et l’interprète semble se demander ce qu’il va se passer maintenant qu’il a fait tout ce chemin et que l’histoire se termine. 

Enfin, la chanson “Come back to me” clôture avec beaucoup de douceur cet album plein de tourmente et de questionnements. Bien qu’étant la dernière chanson, c’est la première à avoir été rendue publique : RM l’avait en effet performée en live le 6 août 2023, lors du dernier concert de la tournée D-Day de son camarade de BTS Agust D. Le titre est ensuite sorti le 10 mai 2024 comme pre-release single, 2 semaines avant la sortie officielle de l’album. Dans une vidéo promotionnelle, RM explique que tout l’album revient à ce morceau de pop indie, qui contient en lui tous les questionnements de l’artiste. Le titre, “Come back to me”, que l’on peut traduire par “Reviens moi”, peut faire référence à quelqu’un d’autre, mais il semble surtout parler de RM lui-même, qui cherche à se retrouver après la longue période d’errance racontée dans cet album. On y retrouve le thème de la quête de soi, mais dans une atmosphère plus apaisée, accentuée par le sifflement que l’on entend tout au long de la chanson. RM semble accepter ses difficultés et leur caractère cyclique, expliquant dans la vidéo promotionnelle mentionnée précédemment que “lorsqu’on est perdu, on veut trouver la stabilité, et lorsqu’on a la stabilité, on voudrait errer à nouveau”. Accompagné d’un clip dans lequel RM vit plusieurs vies, ce morceau semble être pour l’artiste le symbole de l’acceptation de ses multiples facettes. 

En conclusion

Avec ses 11 titres, c’est donc un vrai voyage dans la vulnérabilité de RM que nous propose Right Place, Wrong Person. Fruit de la pause entamée par BTS pour effectuer leur service militaire, cet album qui a failli ne pas exister (puisqu’il était à l’origine prévu que RM commence son service militaire en même temps que son camarade J-Hope, en avril 2023) nous montre un artiste en pleine transformation, après une carrière de plus de 10 ans dont personne n’aurait pu prévoir l’immense succès. 

En revenant avec un album aux sonorités alternatives, s’éloignant ainsi du style de rap et de hip-hop de ses débuts, RM prend le risque de ne pas contenter l’ensemble de ses fans. Cependant, s’il s’éloigne de son propre style d’origine, il s’inscrit parfaitement dans l’évolution actuelle de ces genres musicaux, et dans la lignée d’artistes hip-hop comme Tyler The Creator ou Gorillaz, qui ont su mélanger les genres musicaux au fil des albums. Si cette nouvelle direction artistique peut surprendre les fans à la première écoute, une attention un peu accrue permet vite de découvrir les trésors contenus dans cet opus. On peut aussi saluer la capacité de RM à se renouveler tout en restant fidèle à ce qui est au cœur de sa discographie, faisant de lui un artiste complet et toujours intéressant. 

Il faut noter que cette plongée au cœur des émotions de l’artiste, entre la douleur du chagrin d’amour, la pression d’une célébrité mondiale et la difficulté de se trouver en tant que jeune adulte, est rendue possible et appréciable par la qualité de la plume de RM, dont les capacités d’écriture ne sont plus à prouver. Au-delà des sonorités nouvelles et des artistes de talent dont il a su s’entourer, c’est bien les paroles de cet album qui font sa force. Les instruments, mélodies et chœurs (dont on note la qualité et la force) subliment ces écrits et ne font qu’amplifier avec brio les émotions de RM. 

Avec ce second album, c’est donc un RM écorché vif que nous découvrons. Opus bien construit, avec un enchaînement de chansons qui progresse de manière pertinente pour nous raconter une année d’errance, Right Place, Wrong Person nous apparaît comme un succès artistique, dont on découvrira vite s’il est aussi un succès commercial. A présent que l’artiste a exploré de nouveaux horizons en solo, nous sommes curieux de savoir ce qu’il proposera en groupe au retour de BTS au complet, prévu pour 2025. 

Auteur / autrice

  • Jeanne

    Co-présidente directrice de publication de dear. korea, fan de K-pop et plus largement de culture coréenne depuis 2017. Touche-à-tout dès qu’il s’agit d’art, quand je n’écris pas des articles je travaille sur des projets de roman, je crie en concert ou je flâne au musée.

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