La presse française a beaucoup été décriée pour sa couverture de la K-pop : stéréotypes, approximations, voire mépris. Alors que ce genre musical prend une place de plus en plus importante dans les charts français, où en sommes-nous en 2024 ?
Le magazine Koï, “le média de société des cultures et communautés asiatiques”, a publié en 2019 un très bon article intitulé « Pop culture coréenne : pourquoi les médias s’y intéressent si peu ? » qui analyse la place de la hallyu dans la presse française. La question se pose encore en 2024, alors que la K-pop s’impose de plus en plus dans le monde entier. Les chiffres du streaming musical 2023 ne trompent pas : d’après l’IPFI, 5 albums sur 10 du top mondial 2023 sont des albums de K-pop. Alors, la presse française et la K-pop : où en sommes-nous en 2024 ?
AVERTISSEMENT : Cet article se base sur un corpus non exhaustif, à date du 30 avril 2024, et par choix éditorial ne se focalise que sur le sujet de la K-pop, soit un type de musique spécifique produit par les grandes firmes de divertissement coréennes. Le cinéma, les dramas et d’autres aspects de la culture coréenne sont par ailleurs largement couverts par les médias français, de manière complètement différente. N’hésitez pas à continuer la conversation en commentaires !
L’article de Koi Magazine décryptait les nombreux stéréotypes présents dans la presse française dès lors qu’il s’agissait de parler de K-pop : fans présenté·es comme des adolescentes écervelées, sexisme envers les fans “hystériques”, qualificatifs racistes ou homophobes pour parler des idols, noms coréens mal orthographiés… L’article soulignait aussi que le monde anglo-saxon avait une couverture beaucoup plus neutre du phénomène K-pop, avec une couverture du magazine Time dès 2018 pour BTS, nommé « Next Generation Leader ». 5 ans plus tard, la situation a-t-elle évolué ?
Un peu de contexte…
Depuis la publication de l’article de Koï magazine, en 2019, la K-pop s’est largement imposée aux yeux du grand public, et donc des médias, en France. Juste avant le premier confinement, le groupe Super M s’était offert un Bercy, et on ne comptait plus les annonces de concerts à venir. Certes, le nombre de concerts et leur remplissage n’est pas un gage d’intérêt pour la K-pop pour les médias. Mais en 2022, lors de la reprise des concerts, il devient impossible d’ignorer le phénomène (lire à ce sujet notre article sur la place de plus en plus importante des événements K-pop en France). Les fans français·es et européen·nes se déplacent en masse pour des événements à très grande échelle : des concerts au Stade de France (capacité d’environ 80 000 personnes), à la Défense Arena, au festival Lollapalooza Paris… tout comme dans des plus petites salles, dans d’autres villes que la capitale. Il est donc logique que la K-pop s’impose de plus en plus dans l’agenda médiatique.
Cependant, les constats faits en 2019 dans l’article de Koï magazine ne sont pas totalement dépassés. Si depuis de nombreuses rédactions ont enfin fait appel à des rédactrices expertes, créé des rubriques spécifiques, et amélioré la qualité globale de leurs écrits, des stéréotypes subsistent sur la musique, les fans et les idols, quand le sujet ne reste pas absent des rédactions.
Une presse généraliste qui s’empare enfin du sujet K-pop
Par rapport à 2019, le premier constat est plutôt positif pour la couverture du sujet K-pop en France. Il est ainsi possible de retrouver des articles sur le sujet dans tous les quotidiens généralistes principaux : Le Monde, le Figaro, le Parisien, ainsi que le service public avec France Info (en ligne). Certaines rédactions font le choix de rubriques spécifiques, d’autres de “tags” consultables sur leur site, d’autres enfin de traiter les articles comme n’importe quel sujet.
Des journalistes aguerries au sujet
Une évolution indéniable par rapport à 2019 est la présence de plus en plus importante d’articles fouillés, sourcés et bien rédigés dans la presse française. Ces articles sont très souvent le fait de journalistes “culture”, voire pour certaines spécialisées dans la K-pop, engagées et sans a priori.
On relèvera ainsi le travail de notre consoeur Thilda Riou, qui officie sur Marie Claire, GQ ou encore Konbini. Sa spécialisation dans la musique K-pop lui permet de conduire des interviews exclusives pour certains médias, en tête avec Stray Kids et The Boyz. Ce contenu se démarque en termes de qualité et d’originalité, tant les interviews d’idols sont rares dans la presse française.
La presse mode n’est pas en reste, avec une couverture de qualité des sujets K-pop (sous un prisme forcément de l’industrie de la mode) dans Vogue France par Lolita Mang, qui n’hésite pas même à intégrer une dimension de critique musicale dans ses articles, par exemple sur l’album “Chill Kill” de Red Velvet. Là aussi, la dimension critique -purement sur l’aspect musical et non pas sur des stéréotypes associés à la K-pop- est suffisamment rare pour être soulignée. Notons aussi les articles dans Stylist et l’Officiel, qui confirment que la presse mode a pris le sujet de la K-pop et de ses liens avec le luxe (voir notre article) en marche.
Enfin, le troisième titre qui se démarque des autres par sa couverture exhaustive des sorties musicales K-pop est Paris Match, plutôt connu pour ses sujets people. Les articles de la rédactrice spécialisée Séraphine Roger sont ainsi les seuls à couvrir de manière régulière les principales sorties d’album K-pop en presse française généraliste. Une interview de Taemin est même disponible.
La K-pop présente en force dans la presse en ligne… et dans la presse régionale
La K-pop étant un sujet intéressant de près les jeunes générations, il est logique que la couverture de la musique pop coréenne soit plus importante en ligne. Langage informel, références à des memes, ces articles ont souvent un ton moins sérieux que ceux de la presse écrite généraliste, ce qui parfois se fait au détriment de la qualité d’écriture. Konbini, leader sur le sujet, s’offre ainsi beaucoup d’interviews exclusives et de revues de concert ; Brut, média entièrement en ligne et en vidéo, suit parfois des idols lors d’événements en France ; jeuxvideos.com couvre les news people de la K-pop, malgré sa ligne éditoriale assez éloignée à la base. Notons enfin sur le site de Nylon.fr, qui se définit comme « le média américain culte de la jeune génération dédié au monde de la culture pop et des célébrités » la présence de revues hebdomadaires de sorties musicales par un rédacteur francophone qui font la part belle à la K-pop.
De manière plus inattendue, on retrouve un nombre notable d’articles parlant de K-pop dans la presse régionale. S’il peut s’agir de mettre en valeur des initiatives locales autour de la K-pop (exemple ici dans Ouest France), ou des concerts (ici dans Sud Ouest, avec certes son lot d’approximations), les articles peuvent aussi revenir sur des sujets plus larges, en parlant de groupes comme BTS, et ce dans beaucoup de quotidiens qui couvrent tout le territoire français.
La hallyu, manière d’amener la culture sud-coréenne dans tous les médias
Pour nuancer cependant ces points positifs sur la couverture du sujet K-pop en France, de par l’importance qu’il prend dans le pays, il est important de rappeler que si les grands médias s’y intéressent de plus en plus, c’est avant tout parce que la Corée du Sud est “à la mode”. La politique culturelle du gouvernement coréen a porté ses fruits : la hallyu s’exporte à la fois avec la musique pop, mais aussi les dramas, les films, les produits de beauté et même la cuisine coréenne.
Le Monde rend ainsi compte de ces nouvelles tendances “food”, ainsi que de l’actualité politique et culturelle du pays, en plus des éventuelles revues de concert. Le Figaro se positionne de manière similaire, tandis que Libération ne mentionne la K-pop que pour ses aspects économiques, par exemple la vente de disques physiques. Télérama consacre des articles aux séries coréennes, incontournables désormais depuis le succès de Squid Game en 2021, et la montée en puissance des services de streaming en ligne comme Netflix. Le réseau social TikTok a fait monter en popularité la skincare et les produits de beauté coréens, gagnant des millions d’abonnés pendant le confinement en 2020. Impossible donc d’ignorer ces nouveaux produits culturels et marchands en provenance d’Asie de l’Est – la dynamique est d’ailleurs comparable avec la popularité de la culture japonaise en France. Encore quelque chose qui a évolué depuis 2019.
Un manque de rigueur et d’intérêt qui persiste
Malgré quelques exceptions, surtout dues au travail de rédactrices spécialisées et une ouverture progressive, la K-pop est loin d’être un sujet maîtrisé et traité avec rigueur dans la plupart des rédactions francophones. Le chemin à parcourir est d’autant plus évident lorsque l’on compare avec la presse anglophone généraliste et culturelle, qui se fend d’articles d’analyse de qualité, et ce de manière assez constante. En témoignent par exemple cet article du New York Times sur le groupe Balming Tiger qui propose un vrai travail journalistique mature sur le sujet, du Daily Mail sur la venue de Stray kids au festival Hyde Park, qui met sur le même plan les artistes K-pop et les autres, et cet article de Billboard sur Vcha qui mêle interview des membres et analyse. Plus proche de nous, le magazine italien Panorama propose de manière très régulière des interviews exclusives d’idols au travers sa rédactrice Marianna Baroli.
Des stéréotypes un peu moins prégnants, mais toujours visibles
Il faut tout d’abord signaler que beaucoup de médias généralistes ne parlent de la K-pop que lorsqu’un scandale ou un décès survient. Ce traitement sensationnaliste contribue au cliché d’une industrie véreuse, qui, si elle reste bien sûr hautement critiquable, est aussi une des plus importantes au monde en dehors des industries musicales occidentales. Le problème n’est pas tant d’en parler donc, mais plutôt de ne parler que de cela. Ce traitement était d’ailleurs dénoncé dans cet article de 2022 sur Konbini.
Si les clichés sur les fans semblent désormais excessifs (même Quotidien ne fait plus de sujets sur les jeunes femmes fans et hystériques de K-pop, si courants en 2019 ; ils préfèrent parler par exemple, de l’événement à l’UNESCO avec Seventeen sous l’angle de la lutte contre le changement climatique), un article a cependant attiré les foudres des blinks françaises et internationales : la revue du concert de Blackpink au Stade de France par le Parisien en juillet 2023. En une phrase d’accroche, la journaliste réussit à cocher toutes les cases du cliché misogyne de la fan : « Des larmes (beaucoup de larmes), des jarretières apparentes sous des minijupes portées par des adolescentes, des cris d’hystérie et des paillettes, voilà peu ou prou, la recette de la soirée ». Si dans le reste de l’article, la critique de la performance et du prix du concert est tout à fait entendable, ce choix de chapô continue à interroger par ses relents sexistes et méprisants à l’égard des adolescentes. La fanbase globale de Blackpink a d’ailleurs largement critiqué l’article en exigeant des excuses et en fustigeant un journalisme « injuste » et « irresponsable ».
Cet article a heureusement fait figure d’exception dans le paysage journalistique français en 2023/2024. Il est d’ailleurs tout à fait possible de critiquer l’industrie de la K-pop sans verser dans les clichés, comme sur ce podcast de France Inter qui parle de Blackswan. Le travail des fans pour dénoncer les stéréotypes n’y est sans doute pas étranger, tout comme la contribution de plus en plus de journalistes spécialisées dans les rédactions.
Fautes d’orthographes et approximations
En revanche, ce qui reste toujours préoccupant dans les écrits et était déjà signalé en 2019 dans l’article de Koï magazine, c’est le manque de rigueur flagrant dans la rédaction des articles. Les noms des groupes sont parfois mal orthographiés, alors même qu’ils sont choisis pour être très simples : par exemple, on passe de Itzy à Itzi (Libération) ou de Yugyeom à Yugyeon (Marie-Claire).
De même, des imprécisions subsistent, parfois même dans des médias qui traitent par ailleurs plutôt bien de K-pop. Ainsi, sur la revue du concert MCountdown de Konbini, non rédigée par une spécialiste, on parle de « kimonos » pour parler des tenues traditionnelles coréennes doboks ou de « sticks » au lieu des lightsticks. Le fait d’envoyer au concert une rédactrice non spécialisée et non renseignée donne également un article incomplet, ne parlant pas de tous les groupes, reposant avant tout sur les ressentis. Si cela passe avec la ligne édito de Konbini, c’est néanmoins à déplorer car le média est l’un des seuls, avec le site d’événements Sortir à Paris (hors médias spécialisés comme le nôtre) à avoir proposé une revue de l’événement.
Sur le service public, le même genre d’approximations a cours. On relève ainsi sur divers articles de France Info que les idols virtuelles seraient un énorme phénomène de la K-pop, en passe de remplacer les vraies idols, ou qu’il y aurait 200 groupes de pop coréenne sans sourcer ce chiffre ou ces données. Des commentaires critiquent d’ailleurs ce manque de sources, en qualifiant l’article de « pas professionnel ». Hors des rédactrices spécialisées, les journalistes ont donc un travail de formation à faire sur ces sujets afin de proposer une information de qualité.
Une presse culturelle encore peu intéressée
Les grands absents de cette revue de presse, jusque-là, sont les magazines spécialisés en musique. En France, cela s’explique par une presse écrite qui cible des musiques particulières, comme le rock, le jazz ou le classique. Mais alors que la pop, le r’n’b et le hip-hop se font de plus en plus de place dans ces magazines, la K-pop est toujours grande absente. Et même sur la presse culturelle plus généraliste, la K-pop ne suscite pas la rédaction d’articles : sur Télérama par exemple, hebdomadaire culturel très important, très peu d’articles mentionnent la K-pop, le dernier hors revues de documentaires datant de 2020.
Sur les Inrocks par exemple, le dernier article qui parle de la K-pop en termes de musique (c’est-à-dire une des spécialisations éditoriales du magazine…) date de 2016 (!). En revanche, les idols coréennes sont mentionnées dans les articles qui parlent de mode, de séries, de scandales et de morts. Classique. Rock&Folk ne mentionne la K-pop que dans un article sur les ventes de merch, et Rolling Stone en a fait un hors-série (non lu pour cet article) mais ne la mentionne pas dans le reste de son magazine régulier.
Des magazines à destination des ados spécial K-pop sont parfois édités, sans régularité car il s’agit souvent de projets indépendants, mais ils sont extrêmement ciblés et ne présentent souvent pas de contenus exclusifs. Signalons tout de même l’existence du magazine bimensuel K-world, qui se fait une place en kiosque.
Conclusion
En 2024, subsistent donc des vides et surtout un grand manque de rigueur sur le traitement d’un genre musical montant, qui intéresse une part grandissante du public français. La presse généraliste a encore du chemin à faire, surtout sur la qualité du travail journalistique, pour traiter correctement ce sujet. Les rédactrices spécialisées sont particulièrement prometteuses et la qualité de leur travail est à saluer.
Très humblement, c’est bien tout l’objectif d’un média indépendant comme dear. korea que de faire vivre des écrits de qualité sur la K-pop. Là où les médias traditionnels peuvent manquer de recherche et de rigueur, les médias indépendants (et nous tenons d’ailleurs à saluer nos confrères de France et d’ailleurs, comme l’excellent The Bias List) font vivre un journalisme musical de qualité. C’est peut-être là, en soutenant les écrits de presse indépendante, que le changement se fera.