Le 29 novembre 2025 a eu lieu, dans les locaux de Sciences Po, le Forum Citoyen annuel organisé par la branche française de l’ONG KCRC (Korean Council for Reconciliation and Cooperation). Soucieux de s’interroger sur la notion de paix, c’est cette année autour de la jeunesse que les questions sont portées. La séance s’est donc déroulée à travers le prisme suivant : “La Jeunesse et la Paix : construire et défendre la paix dans un monde en mutation”.
Qu’est ce que KCRC France ?
KCRC France est la branche française de l’ONG coréenne KCRC (Korean Council for Reconciliation and Cooperation), créée en 1998 en Corée du Sud. Présidée aujourd’hui par Hoon Moreau, elle a été officiellement lancée en France en 2021, sous la forme d’une association « loi 1901 ». Son objectif principal est de promouvoir la paix, la réconciliation et la coopération dans la péninsule coréenne, via le dialogue civil, les échanges culturels/intellectuels, l’éducation et la sensibilisation du public en France et en Europe. KCRC France se veut un espace d’échange entre experts (chercheurs, universitaires) et grand public pour réfléchir collectivement aux enjeux de paix, d’identité et de coopération internationale. Parmi leurs leviers d’action, des forums et conférences à Paris et ce depuis 2022. L’année dernière, le forum portait par exemple sur “La coopération économique et paix”, mais de nombreux biais existent pour parler de paix.
La jeunesse et la paix dans le monde
Focus sur la péninsule coréenne : la jeunesse sud-coréenne et nord-coréenne face à la paix (mémoire, indifférence, espoirs) avec Arnaud Leveau.
Le président d’Asia Centre, Arnaud Leveau, spécialiste de la géopolitique et des relations internationales en Asie, a livré une analyse du rôle de la jeunesse dans la construction de la paix en Asie et en Corée du Sud. La conférence a permis de brosser un portrait des espoirs et des leviers d’action exploitables par les nouvelles générations en Corée du Sud.

Mobilisations de la population : une dynamique née de la quête de vérité
Arnaud Leveau rappelle que la jeunesse sud-coréenne s’est profondément politisée après le naufrage du Sewol (2014), événement traumatique ayant déclenché des revendications fortes autour de la transparence, de la vérité et de la responsabilité publique. Les années qui suivirent 2016 ont donc vu émerger de nouvelles formes de mobilisation citoyenne, plus structurées, plus connectées et souvent non violentes. De nombreuses manifestations ont par exemple été menées pour demander la démission de Park Geun-hye, la présidente de la République de Corée de l’époque.
Cette culture de contestation sud-coréenne s’exprime également au travers du cinéma, notamment les œuvres de Bong Joon-ho (Memories of a Murder, Parasite) qui questionnent la mémoire collective et les fractures sociales. Dans ses œuvres, il remet en cause le système et nous invite à interroger les normes sociales, entre autres. D’autres initiatives, comme le Real DMZ Art Project, transforment des espaces symboliques comme la zone démilitarisée entre les deux territoires coréens en lieux d’expression et de création.
Construire la paix : un enjeu global
Selon Arnaud Leveau, les enseignements tirés du cas sud-coréen résonnent bien au-delà de l’Asie, comme en Ukraine, à Gaza ou en Iran : sans confiance, la paix demeure une parenthèse et jamais un état durable. Pour lui, le travail de mémoire doit être un outil civique, et non un vecteur de division. Il utilise l’exemple iranien, dans lequel la jeunesse incarne aujourd’hui une quête universelle pour la dignité. Par ailleurs, il rappelle que des alliances transnationales se multiplient, comme la Milk Tea Alliance, qui unit des jeunes de Taïwan, Hong Kong, Thaïlande, Myanmar, et d’autres pays face aux dérives autoritaires politiques et militaires.
L’ère du soupçon : médias, institutions, information
Selon le spécialiste, l’époque actuelle se caractérise par une défiance généralisée des peuples envers la parole publique, les médias et les institutions. Cette crise de confiance pousse les jeunes asiatiques à créer leurs propres espaces d’échange et d’action, tels que le Northeast Asia Youth Climate Council, qui aborde les enjeux climatiques dans une perspective régionale et transnationale.
Construire la paix requiert de la nuance, de la patience, de l’écoute et la création d’espaces partagés entre générations et entre pays. Un des leviers de la paix aujourd’hui est la capacité de relier technologie et humanité. La Corée du Sud montre qu’il est possible d’articuler puissance technologique, conscience civique, ouverture régionale et responsabilité démocratique.
Nous garderons une citation clé en tête : “la jeunesse n’est pas l’avenir : elle est déjà un acteur central de la paix. La paix commence quand on accepte de comprendre avant de juger, elle ne se défend pas par les armes mais par la parole, la connaissance et la solidarité”.
Une table ronde : La jeunesse, actrice de la paix
Les intervenants
- Isaia Kim, présidente de l’Association des réfugiés nord-coréens en France
- Arnaud Leveau, président du think tank Asia Centre
- Théo Clément, chercheur spécialiste de la Corée du Nord
- Elma Duval, étudiante en master RI à l’INALCO
- Stani Nino Mossé-Manso, diplômé de l’Université nationale de Chungbuk, Corée du Sud.

Les résultats de l’enquête
Cette table ronde, animée par Olivia Choi de KCRC France, fait suite à un sondage mené auprès de 400 jeunes en France et en Corée du Sud qui révèle une vision plurielle de la paix
L’enquête “Jeunesse et Paix” apporte donc trois grandes conclusions :
1. Une vision active et globale de la paix
Pour les jeunes interrogés, la paix dépasse largement la simple absence de conflit armé (64,4 %). Ils y associent avant tout des notions de justice sociale (82,1 %), de dialogue et de compréhension mutuelle (72,8 %). La paix est perçue comme un processus en mouvement plutôt que comme une situation figée. Cette manière d’appréhender la paix témoigne d’une compréhension approfondie des mécanismes qui alimentent les tensions et les conflits.
2. Le paradoxe de l’engagement
L’étude révèle que 80 % des jeunes ont déjà pris part à des actions en faveur de la paix, qu’il s’agisse d’initiatives locales ou de mobilisations en ligne. Pourtant, cette participation reste souvent irrégulière : seuls 60 % mènent des actions continues. Ce paradoxe met en évidence un phénomène ambivalent : une forte sensibilité aux enjeux de paix, mais une difficulté à la transformer en mouvements collectifs durables.
3. La communauté internationale et la culture comme leviers
Les jeunes voient majoritairement la communauté internationale comme un facilitateur pour la paix (87 %), plutôt que comme un acteur dominant (10 %). Ils identifient également la culture et l’éducation comme des leviers puissants pour promouvoir la paix (86,5 %). Ensemble, ces deux leviers offrent un potentiel significatif pour construire des dynamiques de paix durables et tangibles.
Le déroulé de la table ronde
Paix et réunification : une vision contrastée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.
Arnaud Leveau donne sa définition de la paix et rappelle que celle-ci n’est pas l’absence de conflit, citant l’exemple de l’armistice coréen qui n’a jamais été suivi d’un accord de paix. Pour lui la paix est un processus actif et dynamique, jamais figé, qui se nourrit de justice, dialogue et confiance. Elle ne s’obtient pas par la force mais se cultive. Une cessation de combat ne restaure ni paix ni confiance.
Selon Théo Clément, l’espoir d’une paix prochaine entre Nord et Sud n’existe pas, il offre une vision plutôt dubitative et pessimiste. Il est difficile de décrire comment les nord-coréens perçoivent la paix car les autorités en détruisent les symboles (lignes de communication, voies ferroviaires, etc.)
Selon Elma Duval, la question de l’intérêt porté à la Corée du Nord par les jeunes sud-coréens demeure floue. La perception du Nord est souvent limitée aux représentations véhiculées par les médias : nucléaire, danger ou encore culte du leader. Pour de nombreux jeunes sud-coréens, la réunification n’est pas une priorité.
Stani Nino Mosse Manso le rappelle en citant ses amis sud-coréens. Pour lui, la réunification n’est même pas vraiment souhaitée en raison de plusieurs facteurs. D’une part, une disparition progressive des liens familiaux directs. Seules les personnes nées sous l’époque Joseon ou sous l’ère de colonisation japonaise ont encore quelques liens, contrairement à la Gen Z ou les Millenials. D’autre part, le coût potentiel d’une réunification est colossal (estimé entre 3 et 8 milliards de dollars). Les sud-coréens n’ont pas non plus l’impression de vivre dans un pays en guerre car ils nourrissent un fort sentiment de sécurité au sud. Enfin, il rappelle que le service militaire obligatoire enseigne aux jeunes hommes d’appréhender la Corée du Nord comme leur ennemi numéro 1. Pour lui, les sud-coréens seraient favorables à l’unification des deux Corées seulement si la Corée du Nord changeait tout son système politique.
Théo Clément nous partage toutefois le témoignage de ses élèves nord-coréens pour qui la Corée du Sud semble justement dangereuse. Tout est question de perception et de description médiatique. Elle est vue comme empreinte d’un impérialisme américain qui nuit aux particularités culturelles. Pour lui, à l’inverse, nos médias ont des perceptions simplifiées, datées et très orientalistes de la Corée du Nord.
Comment se construire en Corée du Sud en tant que réfugiée politique ?
« La Corée du Nord m’a donné la vie, et la Corée du Sud m’a donné une maturité spirituelle. »
Enfin Isaia Kim, réfugiée nord-coréenne, nous raconte son histoire. Dès son arrivée en Corée du Sud à l’Université de Yonsei, elle s’est confrontée à l’adversité et la contrariété de ses camarades sud-coréens qui sentaient de l’injustice quant aux privilèges que lui accordait son statut. Si son entrée à la faculté a été facilitée par le président de cette dernière en raison de sa nationalité, d’autres ont pourtant dû passer des concours d’entrée exigeants (le fameux CSAT).
Après l’obtention de son diplôme, le monde du travail lui semblait tout aussi difficile, dans la mesure où trouver un emploi stable reste un effort considérable. En voyant ses amis en difficulté dans la société sud-coréenne, elle a réalisé que tout un chacun se battait pour survivre et vivre décemment à sa manière, et qu’ici aussi les jeunes avaient peu de répit.
Chez les sud-coréens, il existe une vraie quête de valeurs comme la liberté et les droits humains, la réflexion sur soi, la capacité à faire le point sur sa vie, à se réconcilier, à pardonner ce qu’on a pu faire de mal aux autres. Pour elle, les jeunes sud-coréens souffrent aussi, tant bien que vivre est difficile pour tout le monde.
À cela, elle ajoute son expérience biculturelle acquise par son mariage avec un français et dont les différences culturelles et communicationnelles ont nourri de nombreux conflits et incompréhensions. Elle en est arrivée à décider qu’elle respectera et acceptera tout ce qui fait de lui ce qu’il est et elle aimerait qu’il essaye de comprendre ses mots. En adoptant cette approche, la paix est revenue dans leur foyer.
En élargissant cette manière de réfléchir sur le plan sociétal, ce qu’elle insinue est que la paix n’est pas quelque chose de grandiose. « C’est simplement reconnaître que vous et moi sommes différents. Nous avons grandi dans des environnements différents, nos vies sont différentes. Reconnaître cette différence, et nous respecter mutuellement, c’est le premier pas vers la paix. Et je pense que le dialogue entre la Corée du Nord et la Corée du Sud repose exactement sur cela. En arrivant en France, j’ai réalisé que le Nord et le Sud se ressemblent énormément. Tellement qu’ils se disputent depuis si longtemps. » « Pour qu’une société progresse, elle a besoin de points de vue différents. Il ne faut pas chercher à rendre l’autre identique à soi. J’aimerais que l’on puisse réfléchir à cela. »
Quels leviers pour mobiliser la jeunesse ?
Les intervenants identifient plusieurs pistes :
- La culture et le sport : des terrains communs
Ce sont des éléments non conflictuels, capables de créer des émotions partagées : films, K-dramas, musique, mais aussi événements communs (comme les spectacles musicaux de Pansori et Gayageum, communs à toute la péninsule, et les performances coréennes aux JO de Pyeongchang).
- L’éducation
Mettre en place des programmes et initiatives permettant aux jeunes sud-coréens de mieux comprendre la Corée du Nord, ses habitants et son histoire.
- La diaspora et le déplacement des discussions
Selon les intervenants, l’espace de dialogue le plus réaliste n’est ni au Sud ni au Nord, mais dans les communautés nord-coréennes présentes en Chine ou au Japon, ou encore sur d’autres territoires plus neutres comme la Mongolie. La France est également citée comme un lieu de discussion pour les diasporas.
- Le contact humain
Créer des espaces d’échange dépolitisés, loin de la confrontation directe, tout en faisant attention à ne pas mettre en danger certaines populations.
Clôture et annonce du gagnant du concours d’éloquence
Plus tôt dans le forum, trois lauréats du concours d’éloquence pour la paix ont concouru sur la question : « Notre avenir repose-t-il sur des trêves fragiles ? »
Nous avons pu entendre Amandine Memery, Raphaël Yussourou et Emna Besrour à tour de rôle, dans un style propre à chacun d’eux puis voter grâce à un code QR. C’est à la fin du forum que Raphaël Yussourou a été annoncé grand vainqueur.
Le forum s’est conclu par une nouvelle présentation de KCRC et son importance, surtout en ce 80ème anniversaire de la libération de la Corée. Des initiatives comme celles-ci s’avèrent toujours aussi importantes et aident à ouvrir le dialogue et l’échange autour d’un objectif commun : la paix.
Merci à KCRC pour leur invitation.

Site : https://www.helloasso.com/associations/kcrc-france
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